Toujours plus Denis Villeneuve

Vous êtes vous déjà demandé : pourquoi vous avez autant apprécié Prisoners ? Qu’est ce qui rend si prenante et intense l’histoire d’Incendies ? Qu’est ce qui fait que Sicario soit aussi intéressant malgré un scénario plutôt léger ? Attardons nous un instant sur un réalisateur qui se démarque de plus en plus grâce à…

Attention, des spoilers des films cités ci-dessus sont présents dans ce dossier.

Son rythme

Si certains admirent Michael Bay pour son rythme endiablé, ses choix visuels et ses BOUM boum Pan Pan BRATATATATATATA …, j’aborde avec tout autant de joie les temporalités choisies par Villeneuve pour ses plans et ce qu’ils contiennent. Prenons cette scène de Prisoners, lorsque le détective Loki commence à suspecter le père d’Anna, l’une des fillettes kidnappées. Vous remarquerez que les premiers plans sont très longs et qu’il ne s’y déroule que peu de choses. Bien que les plans soient soigneusement sélectionnés, sans avoir vu ce qui précède, cette scène semble relativement ennuyeuse à première vue.

Maintenant, reprenons le fil de l’histoire, le détective manque d’indices et d’informations pour mener à bien son enquête et commence à douter de ses premiers constats. Désormais, il recherche de nouvelles pistes d’investigation, tandis que Keller, le père d’Anna, semble agir étrangement et éveille les soupçons de Loki. Pour nous c’est un moment redouté, car l’inspecteur pourrait s’apercevoir de ce que fait Keller et cela rajouterait une problématique supplémentaire à l’intrigue (déjà bien complexe). C’est ainsi que joue Villeneuve, sur le rythme de l’action : environ 1 min 20 de filature, 30 secondes pour rentrer dans le « liquor store », 35 secondes plus tard Keller sort du magasin et pendant ce temps la météo est passée de pluie à neige.
Ainsi, Villeneuve fait preuve d’un choix rythmique particulièrement lent et posé, afin de renforcer l’importance des événements et les décisions des personnages. Par exemple, prenez la scène en accélérée avec un montage plus rapide sur la première et la dernière partie :

Vous ressentez la différence ?
Dans cette scène, certains choix qui peuvent paraître bénins sont très importants. Tout d’abord, la première partie permet de ressentir la montée en tension de Loki qui soupçonne Keller, elle nous fait languir et nous permet de nous immerger à la place de Loki afin de saisir ses sentiments. Ensuite, le passage de la pluie vers la neige rend la scène plus puissante de même que le stress du détective augmente. Enfin, Villeneuve a choisi délibérément de ne pas rentrer dans le magasin d’alcool et de rester avec Loki pour développer le suspens.

Sa poésie

Paradoxalement, les scènes que je vais vous proposer ici sont tout à fait en contradiction avec l’idée de poésie que l’on se fait d’habitude. C’est justement la raison pour laquelle je les aie choisies. Premièrement, elles sont très difficiles dans leur essence, donc il est encore plus difficile de s’en imprégner d’autre manière au premier visionnage. D’autre part, il est intéressant de regarder comment Villeneuve choisit ses plans. Habituellement je m’attarderais sur les plans de paysages ou avec une photographie surprenante, mais l’enjeu était trop léger et facile. Donc, nous allons observer d’abord une scène de Prisoners :

Où elle est ta poésie ?! Hein ?!!
En effet, c’est difficile de dire : « la torture c’est poétique ». Cela dit, ce passage ne fait suite qu’à une légère scène de torture (quelques coups de poings). Et si vous regardez une deuxième fois, les presque 2 min de ce passage n’incluent aucun coup ou blessure. Aucun, pas un seul truc douloureux ? Si justement, c’est là la poésie, Keller et son ami semblent plus souffrir de cette situation que leur victime elle-même. Observez à nouveau ne serait-ce que le visage de l’ami de Keller durant les 35 dernières secondes de cette scène. Il n’exprime que la peur, la douleur et la surprise face aux actions désespérées de Keller. Ils se blessent mentalement à agir ainsi et ne soutiennent que très mal de devoir frapper ce jeune homme suspect. À tel point que Keller en revient plus tard à une stratégie plus cruelle mais qui ne l’oblige plus à voir sa victime, donc le résultat de sa propre action. Enfin, j’apprécie grandement le dernier cadre angoissant : nous sommes en dehors de la salle de bain, ce qui rend l’action plus exiguë et tendue, c’est un plan séquence de près d’1 min 10 très intenses et les acteurs sont particulièrement humains et fragiles, les bourreaux plus que la victime dans un sens.

Maintenant, je vous propose de relativiser encore davantage en termes de torture et de poésie. Il s’agit ici d’une scène de Sicario :

Je dois vous avouer que je n’ai pas beaucoup accroché sur Sicario, pourtant cette scène est pour moi encore plus poétique et significative que la précédente. « Je pense que la chose la plus importante dans le cinéma est de suggérer et non pas de montrer », aurait confié Denis Villeneuve lors d’une interview avec le New York Times. J’adore cette idée, car elle permet de donner plus de puissance à l’action et d’ajouter du mystère. Ici en est un exemple parfait, car toute la montée en tension et l’implicite exprimée dès le début par Alejandro, personnage au passé très trouble, est sans cesse rappelée de manière subtile au spectateur. Bout à bout : l’implicite avec ce qu’il dit en anglais à son vieil ami, entrecoupé de phrases en espagnol pour bien mettre à part le côté personnel de cet échange, l’ambiance malsaine faite d’un décor saturé de jaune (couleur très présente au cours du film), ne pas vraiment voir le visage du futur torturé (qui dans ces moments est généralement arrogant, donc pas utile ici), la caméra éteinte dans le fond et enfin le plan rapproché sur l’eau et l’évacuation avec les premiers sons de torture, pour faire comprendre qu’on commence les hostilités, mais qu’elles sont loin d’être terminées.

Enfin, la poésie n’est pas faite que de romance et d’amour, elle est parfois aussi faite de souffrances et d’amertume. Denis Villeneuve retranscrit cela au cinéma de façon remarquable.

Son oeil

À chaque fois que je regarde un de ses films, je me surprends toujours à m’émerveiller devant les plans qu’il nous propose et la photographie que l’on se prend en pleine face. Enfin si vous êtes allés au cinéma récemment voir Premier Contact, vous devriez encore avoir en tête la scène où l’on arrive sur la plaine où se trouve le « caillou spatial ».

Selon moi, il s’agit d’une des plus grandes forces de Villeneuve : le cadre. D’ailleurs j’en ai déjà parlé dans mon article sur le long métrage Incendies, que je recommande chaudement. Le film plus que mon article, mais vous pouvez aller le lire… si si il est bien…
Bref, c’est pour moi le film qui est le plus parlant en termes de choix visuels pertinents. Les prises de vues sont imposantes et appuient le récit grâce à des choix graphiques surprenant et très puissants. La majorité se déroulant au Moyen-orient, l’atmosphère est chaude et étouffante. Le réalisateur canadien profite de cet univers pour nous faire suer devant des scènes photographiquement horrifiantes et magnifiques, à l’image du Moyen-orient à l’époque (comme encore aujourd’hui) déchiré par ses multiples conflits, tout en conservant de belles choses à faire découvrir. L’une des scènes les plus mémorables d’Incendies image parfaitement cet aspect :

Les scènes que nous avons vue sont fortes en émotions (cocher la case interdit aux mineurs sur Youtube m’a paru de bon sens), et c’est probablement une des raisons qui m’ont poussé à les choisir et à vous les montrer. Étant donné qu’elles évoquent beaucoup avec peu d’images et qu’elles m’ont fortement ému. Cette émotion, Villeneuve nous la transmets à merveille et cela très certainement car il a tout ce que peut demander un bon réalisateur. Ainsi, savoir choisir des plans, comment tourner et à quel moment couper font ce que l’on pourrait appeler l’instinct du réalisateur. D’après moi, le réalisateur canadien démontre un talent certain selon ces critères et va parfois même plus loin que la majorité de ses confrères dans sa présentation. C’est d’ailleurs la raison de ce dossier : Denis Villeneuve ne cesse de me surprendre et de prouver qu’il est capable de réaliser des films plus incroyables, originaux et bien construit au fur et à mesure de sa carrière. Aujourd’hui je n’attends qu’avec impatience son prochain film Blade Runner 2049.

Enfin, je voudrais vous quitter avec plus de douceur et un montage de deux des scènes les plus parlantes quant à « l’œil de Villeneuve », et plus agréables à regarder à tous points de vue :

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